Interview Roger, disquaire de Planète Claire
Rencontre avec Roger, disquaire de Planète Claire
Après 32 ans de bons et loyaux services à la gloire des disques vinyles, Roger a fermé sa boutique iconique. Retour sur l’épopée Planète Claire (clin d’œil aux B52’s) commencée en 1992 et sur ce personnage incontournable de la vie musicale orléanaise.
Quel est ton parcours avant Planète Claire ?
A l’âge de 18 ans je deviens fonctionnaire et rentre dans les services de l’équipement comme dessinateur-urbaniste. Dans le même temps, et depuis mon adolescence, je suis fan de musique. Je vais voir beaucoup de concerts à Paris et croise pas mal de gens du métier. Le 18 février 1984, on me propose de devenir maquettiste de pochettes de disques. Je travaille sur 42 numéros du Juke Box Magazine en tant que maquettiste-archiviste. Je mettais en forme de futures pochettes de disques à partir des éléments qu’on me donnait. Je pouvais aussi créer des lettrages spécifiques. Ensuite je bosse chez un disquaire boulevard St Michel. De fil en aiguille, l’idée d’ouvrir mon propre magasin fait son chemin. Je suis venu prospecter sur Orléans en septembre 1991. Il y avait de la place pour moi. J’ai visité ce local au 11 rue Croix de Malte, ai signé un bail de 9 ans le 16 novembre 1991 et ai ouvert la boutique en janvier 1992.
Avoir ta propre boutique de disques, c’était un rêve de môme ?
Pas du tout. J’avais envie d’être libre dans ma vie, d’aller voir plein de concerts, d’acheter des disques quand je le voulais pour les passer à l’antenne de la radio libre dans laquelle je travaillais sur Chartres. Je n’étais pas prêt dans ma tête car je savais aussi que j’allais avoir des contraintes horaires. Je le constatais déjà dans mon boulot de disc-jockey.
C’est quoi cette histoire de DJ ?
Dans ma période fonctionnaire à l’Equipement, je devenais DJ les week-end.
Qu’écoutais-tu quand tu étais ado ?
Dès 14-15, j’ai écouté Bowie, Slade, Status Quo, Led Zeppelin, Gary Glitter ou encore Ten Years After.
Tu n’écoutais rien avant tes 14 ans ?
Si, j’écoutais ce que mes parents écoutaient c’est-à-dire Marcel Amont, Philippe Clay, de la musique classique et des opérettes car mes parents m’emmenaient avec mes deux soeurs voir des opérettes.
Te souviens-tu du premier vinyle que tu as acheté ?
Mon tout premier 45t, c’est Gérard Palaprat « Pour la fin du monde ». Ma mère nous avait donné une pièce de 5 francs à chacun pour aller chez le disquaire nous acheter le 45t de notre choix.
Une fois dans ton magasin, comment as-tu fait pour te procurer une telle quantité de disques ?
Ça ne vient pas du jour au lendemain ! J’avais un petit stock de base perso de trois à quatre cents vinyles. Un jour, des connaissances qui avaient travaillé dans des radios m’appellent et me disent « J’ai trois mille 33t à vendre, est-ce que ça t’intéresse ? ». Je suis allé voir et j’ai pris. Du coup, j’ai réalisé qu’il me fallait une boutique.
J’ai donc commencé avec ces 3000 albums auxquels se sont rajoutés pas mal de 45t. J’adore les 45t peut-être parce que c’est le premier disque que j’ai pu m’acheter ! J’en vendais beaucoup dans les salons du disque. C’était ma spécialité. J’avais aussi un peu de CD. Comme je faisais achat et vente. Des clients venaient me proposer des collections et comme j’ai envie d’avoir du choix pour les clients, mon stock de disques a inexorablement augmenté. Je réinvestis beaucoup dans l’achat de nouvelles pièces.
A combien de pièces évalues-tu aujourd’hui ton stock de disques ?
Je crois que Planète Claire pourrait s’appeler la boutique aux 10 000 vinyles. Ça tourne autour de ça.
Qu’est-ce qu’on trouve dans ta boutique et pas ailleurs ?
En vinyle, on trouve les anciens pressages. C’est ma marque de fabrique. Je veux éviter de proposer du neuf, ce que tous les autres vendeurs font. Beaucoup de clients aiment « l’ancien son » entre guillemets. Cela me permet d’être complémentaire.
Y a-t-il dans ta caverne des pépites discographiques ?
Dans le cadre du Disquaire Day, sur de la réédition, on arrive à avoir des trucs incroyables. Les pépites que je déniche ne restent pas longtemps en magasin. Aujourd’hui, j’ai rentré un vieux Ramones qui est parti dans la foulée.
Comment juges-tu le rapport des gens avec la musique aujourd’hui ?
Malheureusement, la plupart des gens n’écoute pas assez de musique mais il faut dire que je suis dans un monde de « bouffeurs de musique ». Les clients du magasin n’entendent pas la musique, ils l’écoute. Je conviens qu’il s’agit d’un microcosme par rapport à la posture de consommation de la population en général.
Qui rentre dans ton magasin ?
C’est très varié et il y a heureusement des jeunes. C’est pour ça que je suis toujours là car j’ai su attirer, renouveler ma clientèle. Il y aura toujours une petite quantité de personnes qui aura l’envie d’acheter des disques, de prendre plaisir à le retourner quand il est terminé, de l’écouter en entier. Je crois que les proportions de passionnés restent les mêmes. Déjà, quand j’avais 15 ans, dans ma classe de 25 élèves, on n’était que deux ou trois à nous intéresser vraiment à la musique. En 2025, dans le monde de la musique dématérialisée et facilement accessible, cela demande d’être curieux.
Ton activité de disquaire t’a-t-elle permis de gagner correctement ta vie ?
C’est certain que je gagnais moins qu’en étant fonctionnaire. En ouvrant Planète Claire, je m’étais fixé le but de gagner ma vie avec au minimum un SMIC. Au début des années 2000, ç’est devenu plus difficile. La généralisation des copies et l’arrivée des premiers robinets à musique ont détourné les gens de l’objet.
Comment a évolué le métier de disquaire ?
J’ai suivi le passage au CD en proposant ce format dans ma boutique. Dès 2010, j’ai pressenti le retour au vinyle. Face à la circulation de mauvaises copies ou contrefaçons, les maisons de disques ont réagi et commencé à sortir des rééditions, certaines éditées spécialement pour le Disquaire Day.
Justement, ce Disquaire Day est-il vraiment un jour de fête pour les disquaires ?
Oui, sans aucun doute. La première édition française remonte à 2011, et je n’y ai pas participé car c’était confidentiel. Cette journée du disque vinyle est réservée aux disquaires indépendants (150 à 200 en France à l’époque) qui ont continué à faire vivre ce support. Elle a lieu le troisième samedi d’avril. Il faut s’inscrire et en 2013, j’ai commandé quelques références. J’ai eu du monde tout de suite et j’ai écoulé mon stock. La seconde année, j’ai commandé trois fois plus et la troisième année neuf fois plus !
En 2016 et 2017, l’Astrolabe m’a proposé de faire une animation dans la rue du magasin ce qui a boosté la fréquentation. Le succès du Disquaire Day ne se dément pas puisque depuis quelques années, c’est une cinquantaine de clients qui attendent devant la porte l’ouverture dès 10h du matin. Pour moi, c’est Noël au mois d’avril. C’est l’occasion d’acquérir des rééditions incroyables de vieilles références nationale ou internationales.
As-tu une anecdote croustillante dont tu te souviens particulièrement ?
Oh là !!! Il y en a pas mal. Des fois, tu vends certains disques… J’me dis t’as vendu ça. C’est vraiment incroyable. Une fois, des touristes suédois m’ont acheté 6 albums de Richard Clayderman en une fois. C’est improbable.
Quel est le vinyle après lequel tu cours toujours ?
Peut-être le premier 45t quatre titres des Thugs édité puis détruit car le son était jugé pourri par le groupe. Il n’existe plus que des exemplaires envoyés à la presse. J’ai un copain qui l’a mais qui ne veut pas me le lâcher ! Dans les salons du disque, il m’arrive parfois de me faire plaisir et de compléter ma collection personnelle.
Quelles sont les trois qualités pour être un bon disquaire ?
Patience, connaissances musicales et le sens du partage avec les clients.
Alors Roger, c’est quoi l’après Planète Claire ? Une retraite avec un troupeau de chèvres au fin fond du Larzac ? L’écriture de tes mémoires en 10 tomes ? Le tournage d’un biopic sur ta carrière de disquaire indépendant ?
Je vais faire quelques foires aux disques car je m’en vais avec mon stock. Je vais aller voir plus de concerts hors Orléans. Je continue à organiser le salon du disque à St Jean de la Ruelle tous les ans en octobre.
Quelques questions flash pour terminer cet entretien.
Ton top 3 dans les pochettes de disques ?
L’album Planet Claire des B52’s bien sûr. La pochette du premier album de Starshooter en 1978 avec le camion et la pochette frigo du premier Cure. Sur le vinyle, les titres ne sont pas écrits mais sont remplacés par des petits dessins.
Ton premier concert à Orléans ?
Il est possible que ce soit Jacques Higelin à l’Artistic en 1976 ou 1977 (Emplacement actuel du Novotel Centre Gare)
Ton plus beau concert à Orléans ?
A l’Astrolabe,dans le club, les américains de Pink Siifu.C’était extraordinaire, d’un haut niveau. Une sorte de hip hop/rap mais jazz dans lequel on sentait plein d’influences musicales. C’est ma plus belle découverte. D’ailleurs, j’ai eu beaucoup de mal à trouver les disques. Je peux aussi citer, toujours à l’astrolabe les concerts de Jon Spencer et enfin Lisa and the Lips avec lesquels j’ai remonté le temps en mode Sly and the family stones, voix et groove d’enfer.
Ton groupe orléanais fétiche ?
Les Cry Babies. C’était un mélange astucieux de pop et de rock avec des guitares sautillantes. Je les ai vus 7 fois. J’adore leur troisième album Elsewhere.
A Orléans, Roger a arpenté et usé ses semelles dans beaucoup de lieux de concerts, à commencer par l’Astrolabe. Il n’est pas rare d’apercevoir sa silhouette adossée au mur de l’entrée du club, légèrement en retrait, comme pour mieux profiter.
Je ne vais plus devant parce que j’y suis allé pendant des années pour sauter dans tous les sens, à l’époque où le slam n’existait pas. C’est après un concert de Supergrass au Bataclan que je me suis calmé. Je reste maintenant à l’arrière, mais je savoure quand je vois les gens bouger devant. Profitez-en ! Sautez partout ! Allez-y ! J’aime bien maintenant prendre du recul dans la salle, prendre du son. Comme a dit Franck (technicien son) lors d’un concert en grande salle depuis sa console : « Si Roger est deux mètres devant moi, au milieu, c’est qu’il a cherché le meilleur effet stéréo, et là, c’est pas la peine d’aller le déranger »
Pendant plusieurs décennies Roger a trouvé sa place dans l’organigramme orléanais des musiques actuels. Il a pris plaisir à faire partie de ce puzzle musical, parmi toutes ces personnes qui font la musique, l’écoutent, la produisent ou la font briller. On lui souhaite plein de good vibrations pour la suite.
Propos recueillis par O.Joriot / Photos Laurent Egret